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Témoignage de Julien Bahloul sur l’antisémitisme constant qui lui a fait quitter la France

Depuis ce matin le sondage sur l’antisémitisme en France fait parler. Je vois que certains ont peur de dire les choses. Je vais vous raconter ce que j’ai vécu en banlieue parisienne. Si vous êtes juif, de mon âge, de banlieue, vous avez probablement vécu la même chose.


Octobre 2000 : les harceleurs étaient tous musulmans

J’ai 13 ans, et je suis collégien dans l’Essonne. La seconde Intifada éclate. Un jour quelques élèves viennent me voir et me disent : « C’est vrai que tu es juif? »?
Je réponds oui.
L’un d’eux : faut le tuer parce que vous tuez les Palestiniens.


Aucune sanction

Je n’avais jamais mis les pieds en Israël. Je ne savais même pas où était le pays sur la carte. A partir de ce jour le harcèlement a été quotidien. Les harceleurs étaient tous musulmans. Un jour une des élèves a crié « sale juif » en classe.

Cette fois la prof de français a entendu. Elle était choquée. Elle a voulu mobiliser les autres profs. Ce qu’elle a fait. Mais aucune sanction n’a été imposée à l’élève. Vous savez pourquoi ? Parce que la principale a choisi « le dialogue ». Les profs étaient scandalisés.

On avait 13-14 ans. On était des gosses. D’après vous d’où venaient leur esprit antisémite à cet âge? De leurs parents, évidemment. De leur foyer familial. Le calvaire ne s’est pas terminé là.


2002 : L’antisémitisme explose partout en France

Les actes antisémites explosent en France. Des synagogues sont brûlées [NDLR: dans le quartier de ala Duchère à Lyon, à Marseille, à Montpellier]. En chemin lorsqu’on va à la synagogue dans ma ville il arrive qu’on se prenne des pierres. A Evry, la ville voisine, Manuel Valls est réellement en première ligne pour protéger les juifs.

Au même moment on s’approche de l’élection présidentielle. Le gouvernement Jospin brille par son silence ou son inaction. Un souvenir amer que la communauté juive n’oubliera pas. L’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur tranche et change beaucoup.


2003/2004 : Au lycée, les incidents sont quotidiens

Arrive le lycée, à Evry. 2003/2004 est un calvaire totale. A un certain stade, avec un ami, on note dans un carnet chaque incident qui se passe dans l’établissement. Ils sont quotidiens.
Insultes, menaces… On va voir le proviseur qui répond « Je ne peux mettre un policier derrière chaque élève ». En gros : démerdez vous les juifs, vous me faites chier.

On est allé voir le député de notre ville, Georges Tron, qui nous a emmené voir le Ministre délégué à l’Enseignement scolaire, Xavier Darcos. Il ne sait pas trop quoi nous dire. Il nous parle d’initiatives contre le racisme dans les écoles, je lui réponds (face à une assistance venue pour une rencontre ouverte) : « Mais vous vivez dans quel monde? Rien de tout ça n’a lieu chez nous ». J’ai 16 ans. Je peux vous dire que ça marque.


Lynchage

En mars 2003, 2 personnes du mouvement de jeunesse juif auquel j’appartiens sont tout simplement lynchés. Lynchés. Par une foule hystérique de manifestants contre la guerre en Irak. Ils les tabassent en criant « Palestine ». Ils sont en sang, avec traumatisme crânien. Près de Bastille, fin 2003 mon rabbin est tabassé, en chemin vers la synagogue. Ce rabbin, Michel Serfaty, est connu pour ses engagements en faveur du dialogue entre religions. Sarkozy débarque à la synagogue, promet la fermeté.


Accusé de « mentir » et de « salir »

Au lycée, les choses ne s’arrangent pas, mais en plus les profs nous accusent de mentir et de salir la réputation de l’établissement. Notre « sauveur » : un ami d’enfance, non juif, qui un jour balance à 3 profs en cours d’option ciné : « J’aurais pas aimé être juif ici ».

Grosse claque pour les profs. L’une dit « il se passe peut être des choses qu’on ne voit pas ». La dernière année de lycée se passe plus calmement, mais on comptait les jours avant de quitter cette banlieue.


2006 : Le meurtre barbare d’Ilan Halimi; le déclic

Début 2006. Ilan Halimi est tué. Je suis en hypokhâgne dans un établissement huppé du 94. Des camarades de classe me maintiennent que dire que « les juifs ont de l’argent » ce n’est pas antisémite, c’est juste un constat ou un cliché. A la manif il n’y a presque que des juifs.

C’est à ce moment là que j’ai pris la décision de m’installer en Israël. Je me suis dit « si même le meurtre d’un jeune juif ne provoque pas une révolte, alors c’est foutu ». Je suis parti après mes études à Sciences Po Aix.


2012 : Me réconcilier avec la France

A peine mon service militaire en Israël commencé, l’attentat de l’école juive de Toulouse a eu lieu. Avec de nombreux soldats de Tsahal nous sommes allés à l’enterrement à Jérusalem. Je n’arrêtais pas de me dire « ça recommence, ça ne s’arrêtera pas… »

Oui, je l’avoue, je suis parti en Israël en étant fâché avec la France. Les études dans le sud de la France ont été un bonheur, loin de tout antisémitisme. Mais le souvenir de l’adolescence en banlieue était trop fort. Il m’a fallu du temps pour me réconcilier avec la France.


2022: Mon histoire n’a rien de particulier

Ce n’est qu’au cours des dernières années que j’ai réussi à me « réconcilier » avec mon pays natal. Cela fera rire certains, mais les soirées gays parisiennes y sont pour beaucoup : arriver en soirée avec des gens de tous horizons, parfois de pays arabes, leur dire que je suis juif. Voilà. C’est ce que j’ai traversé en banlieue parisienne.

Mon histoire n’a rien de particulier. Nous sommes des milliers de jeunes à avoir vécu la même. Une génération qui a grandi avec le traumatisme d’Ilan Halimi. Certains sont partis en Israël, d’autres sont restés. Mais croyez-moi, aucun d’entre nous n’a oublié. Ce genre de souvenirs, ça marque et ça forge votre personnalité.

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