vendredi 9 juin 2023 |

Élisabeth Badinter sur la querelle du féminisme contemporain (02/2018)

Elisabeth Badinter, née en 1944, est agrégée de philosophe, femme d’affaires et féministe. Elle a publié en 1980 L’Amour en plus, qui remettait en cause le concept d’amour maternel à travers plusieurs siècles. Elle est actuellement très investie pour l’égalité des sexes plus particulièrement dans les quartiers populaires, par exemple en appelant au boycott des tenues islamiques:

« (Le féminisme) doit aujourd’hui se concentrer essentiellement sur les populations immigrées ou maghrébines, car, depuis longtemps, dans la société française de souche, que ce soit le judaïsme ou le catholicisme, on ne peut pas dire qu’il y ait une oppression des femmes« . (La victimisation est aujourd’hui un outil politique et idéologique, interview de L’Arche no 549-550 en 2003)

« Ni putes ni soumises » incarnait un féminisme moderne ; le radicalisme religieux n’avait pas encore fait son apparition. Depuis 10 ou 15 ans, on assiste à un virage à 180 degrés. Les jeunes filles sont priées de rester à la maison, d’obéir a leur père, à leur frère et ce renversement s’est concrétisé par la fin de ce mouvement (Le Point, avril 2016)


En 2003 elle publie un essai appelé Fausse route chez Odile Jacob qui critique le féminisme qui, selon elle,

«Les stéréotypes d’antan, pudiquement appelés « nos repères », nous enfermaient mais nous rassuraient. Aujourd’hui, leur éclatement en trouble plus d’un. Bien des hommes y voient la raison de la chute de leur empire et le font payer aux femmes. Nombre d’entre elles sont tentées de répliquer par l’instauration d’un nouvel ordre moral qui suppose le rétablissement des frontières. C’est le piège où ne pas tomber sous peine d’y perdre notre liberté, de freiner la marche vers l’égalité et de renouer avec le séparatisme. Cette tentation est celle du discours dominant qui se fait entendre depuis dix ou quinze ans. Contrairement à ses espérances, il est peu probable qu’il fasse progresser la condition des femmes. Il est même à craindre que leurs relations avec les hommes se détériorent. C’est ce qu’on appelle faire fausse route.» (Fausse route, Odile Jacob, 2003, quatrième de couverture)

En écho à ce livre, Elisabeth Badinter a accordé une interview exclusive à l’émission La Grande Librairie sur France 5 où il est question du mouvement « Balance ton porc », de l’étirement infini de la notion de violence sexuelle ou sexiste et dans la partie que nous reproduisons, la différence hommes/femmes et l’éducation des enfants au respect du corps de chacun.


De l’essentialisation

Deux féminismes s’opposent depuis la fin des années 70, ou 80, et qui a commencé en Amérique. Il y a une espèce de conflit théorique ou philosophique. De mon point de vue, on ne peut jamais dire: les femmes et les hommes. Il y a les hommes qui sont des agresseurs, des hommes qui sont des violeurs, mais l’abus de certains ne doit pas une condamnation globale d’un sexe ou d’un autre. De la même façon, je suis assez agacé que l’on dise: « les femmes ». Cela essentialise féminité et virilité. Ça me semble une erreur dans la mesure où, selon les cultures, selon les cas, nous sommes très différentes les unes des autres, en fonction, notamment mais pas seulement, de notre éducation.
Nous avons une enquête qui vient de sortir du ministère du travail et qui dit ceci: les femmes qui ont un travail précaire ont 78% de chances de plus d’être harcelées que les femmes qui ont un travail stable. Vous vous rendez compte? (…) Je pense que les hommes et les femmes se ressemblent beaucoup plus à mon avis qu’ils ne se distinguent. (…) Il y a des comportements masculins que les femmes n’ont pas, mais il faut dire une chose: toutes les femmes ne sont pas des anges.

« Il faut renoncer à une vision angélique des femmes qui fait pièce à la diabolisation des hommes. »


Contre le séparatisme sexué

Le côté victimiste a été l’option du féminisme radical américain. Dans les années 80, il y avait tout un discours des féministes américaines pour dire que les femmes étaient plus maternelles, qu’elles étaient moins ambitieuses qu’elles étaient plus attentives aux autres, que c’était elles qui soignaient les uns, qui nourrissaient les autres et que les hommes (NDLR: on parle de la théorie du Care), à l’opposé, étaient plus guerriers, plus ambitieux, plus personnels, plus violents, etc.

Ce séparatisme des deux identités me gêne beaucoup. Je pense que ce n’est pas vrai. Les femmes sont des humains comme les hommes et parmi elles, comme parmi les hommes, il y a des perverses, des méchantes, des femmes qui veulent se venger, même si c’est une infime minorité, les femmes ne sont pas des anges, pas toutes, en tous les cas. (…)
Les hommes ne sont pas seuls à agresser les femmes du point de vue psychologique. Dans la relation de couple, il faudrait aussi interroger les hommes pour savoir leur sentiment sur ce point. Eux aussi peuvent se sentir insultés, méprisés, tyrannisé. Ça peut être le fait de femme, mais aussi d’hommes.


La domination masculine n’est pas un système

La domination masculine est présentée comme un système qui tend à donner à l’identité masculine une propension à la domination sur les femmes. Il est vrai que pendant des siècles et des millénaires, les hommes ont dominés les femmes. (…)
Depuis 50 ans, la domination masculine a reçue de bons coups sur la tête. Ça n’est pas fini. Aujourd’hui, on ne peut pas nier qu’il y a surtout dans la jeune génération des hommes qui ne sont pas le système de la domination masculine, et donc, ça ne peut pas être un système universel. Les gens de pouvoir, et jusqu’ici c’étaient les hommes, ont tendance toujours, à abuser de leur pouvoir. Et les hommes, à abuser de leur désir masculin pour imposer des choses qui sont inacceptables.


Apprendre à poser des limites

Il faut dénoncer les abus, c’est essentiel pour que les hommes réfléchissent à ce qu’on peut faire et ce qui est inadmissible. Pour ce faire, il me semble qu’il faut commencer par la plus tendre enfance, à l’école et à la maison. Il y a des petites filles qui n’aiment pas que les petits garçons soulèvent leurs jupes, les embêtent dans les toilettes, et ne savent pas se défendre. Et ça se comprend. Mais qu’on explique dès le plus jeune âge aux garçons que quand une petite fille, une jeune fille ou une femme dit non, c’est non. Il faut apprendre simultanément aux petites filles à dire non. C’est une éducation qui ne fera pas en huit jours. Les femmes ont été habituées à ne pas oser dire non, à avoir peur de dire non.

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Thomas Yves
Thomas Yves
Responsable éditorial de la Droite au coeur depuis 2020. Intérêts: livres, politique, géopolitique, économie, déconstruction, séparatisme islamique.
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