Alors que s’ouvre un procès devant la Cour d’assises spéciale de Paris pour juger les complices des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, la tonalité est plus sombre que jamais pour la liberté d’expression en France et dans le monde.
Pour Richard Malka, l’avocat historique de Charlie Hebdo depuis 1992, est toujours sous protection policière depuis le 8 janvier 2015.
Il a repris une « louche » de menaces en défendant la jeune instagrameuse iséroise de 16 ans, Mila, qui en critiquant l’Islam dans des mots très durs a enregistrée 30.000 menaces de morts et n’a jamais pu être rescolarisée pour raisons de sécurité. Dans un entretien au Point, il revient sur le recul de la liberté d’expression qui augure de ce qu’il désigne comme un « nouveau totalitarisme ».
En France, il n’y a pas de délit de blasphème
En début d’année, à propos de l’affaire Mila, la ministre de la justice de Macron, Nicole Belloubet, affirme sur Europe 1 le 29 janvier 2020, « L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave« , avant de concéder une « formule maladroite », devant le tollé provoqué par ses propos. Richard Malka se souvient que du côté des principales associations féministes ou LGBT, des artistes et des « progressistes », il n’y eut pas de réaction, pas de vague (Le JDD, 25/01/2020).
Les premières menaces islamistes arrivent chez Charlie dès 2002 (un dessin de Cabu, déjà). En février 2006, une semaine après France-Soir (dont le directeur a été viré à ce motif), Charlie (et L’Express) publient les caricatures du prophète de la religion musulmane dans le journal danois Jyllands-Posten. Ces deux rédactions voulaient témoigner leur solidarité avec les caricaturistes danois qui leur valurent une avalanche de menaces de mort.
La tendance actuelle consiste à dire: « je suis blessé par celui qui pense différemment de moi »
Richard Malka a compilé dix pages de déclarations, de gauche comme de droite, appelant à l’auto-censure, dont celles-ci: le président Jacques Chirac demande à stopper « les provocations susceptibles d’attiser les passions » et Jean-Marc Ayrault en appelle à « l’esprit de responsabilité » contre la publication des caricatures. Marielle de Sarnez se fend même de sa définition de la laïcité : « La laïcité, c’est aussi d’éviter de blesser les sensibilités ». Tout est dit.
En novembre 2011, les locaux de Charlie sont incendiés de manière criminelle. Libération ouvre alors généreusement ses portes à la rédaction de Charlie. L’indigéniste Rokhaya Diallo exprime son écœurement, oui, mais son écoulement contre la teneur du journal satirique, qualifié d' »islamophobe ». Puis le 7 janvier 2015, douze personnes et deux policiers sont abattus dans le locaux de Charlie par les Kouachi. Les derniers mots des terroristes en quittant la salle de rédaction s’adresse à une jeune femme prostrée: « Lis le Coran ».
« Toute religion est privative de liberté »
« Que de paisibles dessinateurs de presse, inoffensifs caricaturistes fassent l’objet d’une garde rapportée, c’est invraisemblable, mais tout le monde s’y est habitué. C’était d’ailleurs le but recherché: instaurer une nouvelle normalité, la peur et le silence par l’effroi des conséquences de l’irrévérence ».
Richard Malka, Le Point, 13/08/2020
« Renoncer à exiger d’un musulman qu’il accepte la critique de sa religion (…) c’est cela le racisme »
Philippe Val, le directeur de Charlie Hebdo était l’invité de David Pujadas dans 24h Pujadas :
« Pourquoi est-ce qu’on nous a applaudit quand il s’agissait des catholiques et on nous a abandonné, on nous a insultés, on nous a traités de racistes quand on il s’est agit de l’Islam? » (…) Nous on pensait que les catholiques étaient capables de comprendre la critique et le blasphème et quel les musulmans également [en] était capables ».
Philippe Val, sur LCI, le 01/09/2020
Une rhétorique qui aboutit à dire: « Tuez-les! »
« Edwy Plenel dit dit que Charlie Hebdo fait la « guerre aux musulmans ». Mais, s’il y a eu une guerre, il y a des morts. Et les morts, ils sont de quel côté ? Dans quel monde il vit, Edwy Plenel ? Sur quelle planète il vit ? C’est un refus de voir la réalité. »
Philippe Val, sur LCI, le 01/09/2020
Plus loin dans l’émission, Val est pris à partie par Abdelali Mamoun, théologien musulman d’Alfortville qui s’exprime sur beur FM, qui lui assène cette sentence définitive: « La société ne fonctionne pas simplement sur des rapports basés sur la légalité ou non ». On croirait presque entendre une réminiscence du discours de Christophe Castaner, qui, parlant de la manif raciste des Traoré, expliquait que « l’émotion mondiale (…), dépasse au fond les règles juridiques qui s’appliquent » (Le Figaro, 09/06/2020).
Invité de la même émission, l’essayiste Barbara Lefebvre, rappelait la persistance de l’obsession anti-Charlie Hebdo. En novembre 2019, lors de la manifestation contre l’islamophobie à Paris, Charlie Hebdo et Zineb El Rhazoui (NDLR: lire aussi: peut-on critiquer l’Islam?) ont été hués par la foule à l’appel de Marwan Muhammad et des cris Allahu akbar auraient été entonnés.
La « cancel culture », c’est l’inverse la culture française du débat
Richard Malka en profite pour atomiser la « cancel culture » venue des Etats-Unis où des blancs se sentent obligé de raccrocher la communication Skype après leurs interlocuteurs noirs pour ne pas être taxés de racisme, ou un professeur blanc dans une université gauchiste est sommés de mieux noter les étudiants noirs (notre article), ou des salles sont spécialement aménagées pour que l’on puisse y parler librement, mais pas en dehors.
Dans le domaine de la culture, on interdit que des blancs jouent des rôles de noirs au théâtre ou au cinéma, ou même ose parler d’eux, comme c’est arrivé à Timothée de Fombelle, auteur de littérature pour enfants, qui s’est vu refuser son livre par son éditeur anglais pour la seule raison qu’il est blanc et met en scène une petite fille noire.
Et l’avocat conclut: Où est passée la gauche libertaire, universaliste et laïque? Pourquoi cette gêne?
Lire aussi: l’avis de Michel Onfray sur l’Islam