L’écrivain et chroniqueur littéraire Frédéric Beigbeder revient dans son nouvel essai sur le problème de la cancel culture (culture de l’annulation en bon français) dans la littérature, qui est elle-même née du politiquement correct américain, dans les années 90.
Le Jury du Renaudot auquel il est associé depuis quelques années a été la cible du parangon du « wokisme » (ce néomaccarthysme), le New York Times, qui contestait ses choix d’attribuer le Prix Renaudot à Gabriel Matzneff… sept ans après.
« Pourquoi tout le monde est-il devenu si susceptible? »
Pour l’écrivain de 99 francs, il faut que la littérature donne à lire des choses répugnantes, obscènes, en somme qu’elles dévoile le côté sombre de l’humanité. Chose insupportable dans le monde merveilleux des auto-proclamés « bienveillants », qui tentent de faire disparaitre du champ de la culture et du débat public de plus en plus de notre héritage culturel.
Certains exigent de mettre à l’index tel ou tel(le) auteur(e) en fonction de son casier judiciaire, de son orientation politique, de sa couleur de peau (comme la traductrice blanche néerlandaise) ou de ses mœurs. D’autres suggèrent comme Alice Coffin, que des livres écrits par des hommes la répugne. Les exemples sont légion, mais certains retiennent plus l’attention que d’autres: comme le procès retentissant fait à Carmen de mettre en scène un féminicide.
« Le but de la littérature n’est pas la résilience, ni même de réparer les déséquilibres de la société. Scoop: la littérature ne sert à rien qu’à être belle et donner du plaisir au lecteur »
Frédéric Beigbeder, Le délire de censure vient de la Cancel Culture, Le Figaro, 07/05/2021
Quand ce ne sont pas les auteurs ou les traducteurs que l’on bannit, ce sont les mots eux-mêmes, chargés qu’ils sont de cette force de stigmatisation si propre à nos sociétés occidentales. Les mots sont pourchassés comme les vecteurs de haine pure, au lieu d’attaquer la haine elle-même dans le monde réel. C’est ainsi que les américains se sont ils faits la spécialité de mettre des « avertissements au lecteur » – et par extension au cinéphiles – à tout bout de champ pour se prémunir de tout écart de la moraline ambiante.
« Pourquoi les êtres les plus humanistes et progressistes finissent toujours par réclamer la censure, l’effacement, l’interdiction? »
« Je suis aujourd’hui forcé d’admettre que le politiquement correct détruit la liberté d’expression de nombreuses manières, toutes très aimables. (…) La trouille et la susceptibilité des autres nous conduit à accepter les interdits et la censure. »
Frédéric Beigbeder, op cit.
Ouvrir un bon livre, c’est un « geste barrière » contre la connerie
Et Frédéric Beigbeder termine en faisant le parallèle entre les livres, vus comme non-essentiels pendant la pandémie et l’intolérance incroyable de la société.
« (…) Si l’on défend aux écrivains de parler de la vie des autres et dans leur langue, autant fermer tout de suite les frontières, prohiber les voyages, séparer définitivement les humains les uns des autres ».
Frédéric Beigbeder, op cit.