Christophe Guilluy, géographe et auteur très cité pour son essai « La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires« , analyse la sociologie de la société depuis le Front Populaire jusqu’à nos jours. Il constate la disparition inéluctable de la classe populaire qui est dépossédée.
Dans Les dépossédés (Flammarion), il revient sur une quadruple prise en étau: la classe populaire est dépossédée d’elle-même, dépossédée de son habitat, dépossédée de sa culture et de son territoire et enfin dépossédée de ses prérogatives. En lieu et place, une nouvelle classe apparait, la bourgeoisie bobo: elle vit dans les anciens quartiers populaires des grandes métropoles, achète des résidences secondaires et plus encore depuis le premier confinement, télétravaille en bord de mer.
C’est une lutte inédite entre les prolos et les néobobos, une lutte entre la France périphérique et la France des centres villes. Cette lutte est injuste et inégalitaire. Ce n’est même plus une lutte, c’est de l’indifférence. Paradoxalement, ces classes populaires n’ont jamais autant inquiété les classes dominantes tant elles font dorénavant du bruit et tant, désormais, elles ne se soumettront plus au diktat imposé par les politiques.
A la mer, c’est le choc des cultures
Avec le Front Populaire et ses congés payés, les ouvriers découvrent la mer pour la première fois, ils voyagent avec des billets de train à 60% de réduction, à condition de parcourir au moins 200 kilomètres (les billets Léo Lagrange). Ne nous y trompons pas, loin d’être un phénomène de masse, ce bonheur sera seulement partagé par 5% des français. Les stations balnéaires de prestige sont prises d’assaut : Nice, Deauville, Le Touquet, Cabourg, Biarritz… À l’arrivée de ces nouveaux touristes, c’est le choc des cultures, le choc des modes de vie. Le « marcel », symbole du travailleur, tranche dans cet univers guindé. La séparation est naturelle: les villas et les yachts d’un côté, les campings et les locations bas de gamme de l’autre.
La localisation, comme unique critère de sa classe sociale
C’est la bourgeoisie qui donne le « la », elle achète les plus belles maisons, les meilleurs emplacements et ce n’est pas grave si c’est juste pour y vivre un mois par an. Les jeunes cadres et les retraités (soit 10% des ménages en France) achètent des résidences secondaires et font tourner l’économie locale. Peu importe si c’est au prix de l’exclusion des natifs, auxquels ils ne restent plus que les miettes. Ce remplacement d’une population populaire dans un quartier par une population plus aisée, s’appelle la gentrification. Ainsi, les trois quart des classes populaires ne vivent plus dans les grandes villes. C’est un thème très cher à notre auteur, et qui est décliné de plusieurs manières:
La gentrification, la faute à la mondialisation
La gentrification, c’est les classes supérieures, la bourgeoisie, les retraités et les progressistes en zones tendues (prix élevé au m2, prix en hausse, très forte demande) et les classes populaires en zones détendues (demande faible, prix stables).
Cette gentrification s’illustre très concrètement: les camping 5 étoiles remplacent les camping 2 ou 3 étoiles. On parle alors de « glamping« : le glamour au camping pour les bobos parisiens. La gentrification, c’est un rouleau compresseur, rien ne l’arrêtera. Les logements sociaux, les politiques de « rééquilibrage« , foutaise! une goutte d’eau dans la mer!
La gentrification dessine le territoire français. Les répercussions sont énormes sur la perte culturelle, sociale et environnementale. Pour exemple, les chiffres suivants sur les vacances sont accablants :
En 2002, 66% des français partaient en vacances, ils ne sont plus que 58% en 2019! Pire, en 1999, 50% des français dont le revenu était inférieur à 1.200 euros partaient en vacances, ce chiffre est passé à 38% en 2019. Cette vision à 360 degrés sur la mer, l’histoire ou le patrimoine se restreint de plus en plus à une élite. Les classes populaires doivent partir moins loin et moins longtemps!
Christophe Guilluy sur l’origine des gilets jaunes
La gentrification s’est imposée dans tous les pays développés occidentaux: à Londres, à Berlin, à Barcelone, à New York, à Bordeaux… Ces métropoles sont des clônes : la même architecture, les mêmes espaces verts, la même verticalité épurée.
L’exclusion des classes populaires provoque peu de contestation. Mais le jour où tout bascule, ces petites gens deviennent ultra jaunes et phosphorescentes! Le mouvement social des banlieues, c’est un leurre, c’est au pire quelques émeutes; la vraie contestation provient toujours de la france périphérique, de ce que l’on appelait jadis la classe moyenne.
Les ressorts de ces contestations ne sont pas tant sur le pouvoir d’achat, elles sont sociales et existentielles. La classe moyenne ne supporte pas la perte de son statut social, c’est pour ça que les français furent solidaires à leur égard. L’argent ne résout rien: une promesse de SMIC à 1.500 euros par Jean-Luc Mélanchon ou des chèques-cadeaux-empoisonnés d’Emmanuel Macron n’ont pas changé la donne.
Ce n’est pas un hasard si la genèse de ce mouvement débuta en Gironde, département qui a grossi de 400.000 habitants en trente ans, où le prix de l’immobilier a été multiplé par 3 et où les cadres sont 2 fois plus nombreux que les ouvriers à Bordeaux. Les artisans, les ouvriers, les restaurateurs, ceux que l’on a appelé « la première ligne » pendant la crise du Covid, ceux sans qui, la France ne tourne pas, doivent utiliser leur voiture puisqu’ils résident dans la « périphérie subie ». Ces français s’expriment, ils votent majoritairement RN (13 millions de français) et sont tentés par le repli identitaire. C’est une réponse à la moquerie, à la raillerie, à l’indifférence.
La gauche, à l’origine de la gentrification
Sous couvert de l’antiracisme et de la défense des minorités, la gauche progressiste opéra son virage libéral dans les années 80 avec des maires tels que Bertrand Delanoë à la tête de la Mairie de Paris. Elle s’auto-attribue une supériorité morale et diabolise le peuple. En 1981, Georges Marchais accusait ses adversaires politiques de traiter les électeurs communistes de « bornés, incultes, racistes, alcooliques, brutaux ». L’électorat de la gauche, ce n’est plus le peuple, c’est fini. Les ploucs, « les gens qui ne sont rien » pour Emmanuel Macron, elle n’en veut plus! Elle fantasme d’un nouveau peuple qu’elle pourrait elle-même façonner.
Imaginez… ce peuple, ne pourra même plus se rendre en ville, empreinte carbone oblige, si sa voiture diesel date de 2011! En communication, c’est la mobilité pour tous et dans les faits, c’est la « sédentarité contrainte ». Mais à part cela, la gauche inclus tout le monde, surtout les riches!
« Cet écologisme de façade fait oublier son mode de vie… son ambivalence, c’est d’imposer un modèle inégalitaire en s’offusquant de la richesse des ultra riches, imposer la Société multiculturelle en se protégeant de la diversité »
Christophe Guilly – Les dépossédés
Comme pour les classes populaires, le roman national est occulté, la gauche lui préfère « la fable du multiculturalisme », sans histoire chronologique dans un métavers imminent. Celui qui ose tendre la main aux plus modestes est de suite traité de paitiniste, de nationaliste ou de populiste. Fabien Roussel fut récemment traité de raciste et de suprématiste blanc lorsqu’il a défendu la gastronomie française.
Les classes populaires sont absentes des Grandes Ecoles
Ici encore, c’est le territoire de naissance qui détermine l’ascension sociale! Les technocrates parlent de l’état de l’ascenseur sans se préoccuper de qui se trouve dedans. (Les plus modestes ne sont pas vus, ils sont même évités.)
La richesse est proportionnelle aux années d’études :
« 1 français sur 2 dispose de moins de 1771 euros par mois (après impôts et prestations sociales) alors que 20% des mieux rémunérés gagnent plus de 3000 euros par mois.
Aussi, l’INSEE indique que :
« Ceux qui ont le plus de chance d’améliorer leur revenus comparés à ceux de leurs parents sont plutôt des hommes, des habitants de l’Ile de france et bien sûr ceux dont l’un des parents est diplomé du supérieur »
INSEE
La classe populaire sait que les cliniques privés, les écoles privés (privées de racaille je me comprends), ce n’est pas pour elle!
Le chanteur Renaud avait, en 2006, très justement décrit cette nouvelle classe de bobos :
♫ Ils vivent dans les beaux quartiers ♫ Ou en banlieue mais dans un loft ♫ Ateliers d'artistes branchés ♫ Bien plus tendance que l'avenue Foch... ♫ Ils regardent surtout ARTE ♫ Canal+, c'est pour les blaireaux ♫ Sauf pour les matchs du PSG ♫ Et de temps en temps un petit porno
Les seules fois où l’on regarde la classe populaire, c’est au cinéma, des personnages crées de toutes pièces, des marionnettes, victimes de leur propre caricature, façon « les misérables « ou reniant leur milieu d’origine s’ils sont rentrés dans le monde d’en haut avec l’éternelle illusion d’en faire partie comme dans le film de Laurent Cantet de 1999 « ressources humaines ».
Le leurre de la mondialisation heureuse (du nom d’un livre de 1999 d’Alain Minc) a fait oublier l’essentiel, le peuple est devenu orphelin.