Eric Dupont-Moretti: la revanche de l’orphelin

(Mise à jour du 6 juin 2020) Désormais Ministre, nous aurons tout loisir de commenter les faits et gestes de l’avocat devenu Garde des Sceaux. Episode 1 : La Nomination

EDM, alias Eric Dupont Moretti, l’avocat pénaliste star du barreau révélé au grand public par l’affaire d’Outreau en 2004, fascine, tant par son talent, qu’il agace par sa réussite. En juillet 2004, il acquiert une notoriété nationale lorsque dans l’affaire Outreau, Roselyne Godart, « la boulangère » itinérante est acquittée devant la cour d’Assise de Saint Omer (Pas de Calais). Tantôt surnommé « l’Ogre du Nord« , tantôt « l’Acquitador » en référence à sa passion pour la tauromachie, il cumule aujourd’hui 145 acquittements (février 2020) qui font de lui l’avocat le plus célèbre de France! Sa célébrité est telle que chaque semaine, la mort dans l’âme, il doit refuser une dizaine d’affaires dans son cabinet du 8ème arrondissement de Paris, Cabinet Dupont-Moretti & Ney crée en 2016.

Avocat incontournable des affaires de grande envergure, ce boulimique de la bonne chère comme de travail, multiplie les plaidoiries avec des clients, à son image, charismatiques. On se souvient bien sûr de l’acquittement de Jean Castella, le commanditaire présumé de l’assassinat du Préfet Claude Erignac, mais aussi des procès d’hommes politiques comme ceux de Jérôme Kerviel, Bernard Tapie, Jérôme Cahuzac, Georges Tron et plus récemment du couple Balkany, mais aussi bien évidemment de l’affaire Merah.


L’injustice de la mort à l’origine de sa vocation

Son grand-père, Paolo, probablement assassiné en 1957 est laissé pour mort, le crâne fracassé, en contrebas d’une voie ferrée. Ce drame, celle d’un immigré italien, n’intéresse personne, car certaines morts ne comptent pas: « on n’a jamais rattrapé son meurtrier, on n’a d’ailleurs jamais fait d’enquête, c’est injuste » écrit-il dans son livre Eric-Dupond Moretti à la barre. Puis, celle de son père, Jean-Pierre, alors qu’Eric avait à peine 4 ans et demi. Cet ouvrier de la métallurgie mourut d’un cancer à l’âge de 26 ans, « ça aussi c’est injuste« , peut-on lire dans ce même livre. De là vient sans doute son empathie pour les gens dans le malheur. Ces injustices sociales le marqueront à jamais, ce qu’il analyse aujourd’hui :

« Moi, je m’en suis tiré parce que si le père absent est un salaud, le père mort est un type formidable. Et je voudrais que vous compreniez que quand je plaide la mort d’un père, c’est la mort du mien que je plaide »

Le jeune Eric n’assistera pas à l’enterrement de son père, il se souvient de lui la dernière fois à l’Hôpital de la Pitié Salpétrière et de cette visite au zoo de Vincennes qui s’en suivit pour pleurer son père si cher à son coeur.

Sa mère, Elena Moretti, d’origine italienne, arriva en France à l’âge de 18 ans et travailla dur pour élever seule son fils. D’abord dans une faïencerie puis en tant que femme de ménage. Le travail, le sacrifice, la souffrance, c’est cela l’enfance du petit Eric, mais dit-il, « c’était bien ». Chez ses grands parents qui l’élevèrent, c’est Louise, sa grand-mère qui lui donna le goût de la cuisine, de la cigarette Gitane, on sait donc de qui il tient!
Chaque jeudi, c’était les mots croisés avec cette cruciverbiste de haut vol. De là aussi vient probablement son goût pour les mots. Pendant la guerre, sa grand-mère et son arrière grand-mère avaient caché deux enfants juifs dans la ferme et, « ça c’est juste« . Lors de sa première affaire, le tribunal a envoyé les pièces à son collègue homonyme Dupond. Pour éviter la confusion, il ajouta le nom de Moretti à son nom, en hommage à sa maman avec qui il entretient une conversation téléphonique quotidienne.

Injuste encore à ses yeux, l’affaire Christian Ranucci, accusé du meurtre d’une fillette puis guillotiné à la prison des Baumettes. Gilles Perrault, journaliste de l’époque publie sur l’affaire le livre « Le Pull-over rouge« , de là s’en suivra une polémique entre innocence, erreur judiciaire et culpabilité. Ce jour-là, Eric Dupond, pas encore Dupond-Moretti, sera avocat pénaliste, c’est sûr! Il sera avocat par détestation de la peine de mort.


Il séduit grâce à ses mots

Chez sa grand-mère, il fait chanter les mots, il ouvre le dictionnaire par plaisir, précisément le Petit Larousse, ce n’est pas un hasard s’il nomme son livre « Le dictionnaire de ma vie » en 2018. Dans ce dictionnaire, je ne sais pas si l’on trouve le mot talent, le mot génial, le mot répartie, mais ces trois mots peuvent parfaitement le définir.

Elève indiscipliné, il est envoyé en 6ème chez les curés de l’Institution Saint Pierre à Fourmies. Là, le fossé social est flagrant : lui, il avait juste la chance d’être là quand pour les autres, c’étaient des Triumph Spitfire en récompense de bonnes notes. « Les riches étaient mieux habillés ».
Cette injustice, elle disparaîtra de fait lorsque le 11 décembre 1984, il prête serment à Douai et s’inscrit au barreau de Lille. Il porte aujourd’hui la robe de son père spirituel : Maître Furbury.
Ses premières prises de parole, ce sera devant l’Evêque de Lille lorsque celui-ci visita le pensionnat où il se trouvait en 1978, peu de temps avant les Législatives. L’Evêque discutait de Georges Marchais et de son athéisme et c’est alors que le petit Dupond de l’époque prit la parole en public et s’adressa à l’Évêque avec cette magnifique parole, un tantinet insolente :

« Monseigneur, seriez-vous venu faire campagne électorale »

Le constat est simple, dès qu’il s’agit de s’exprimer, c’est le meilleur, il est Lauréat ex-aequo de la Conférence du stage, le concours d’éloquence du barreau de Lille.


De l’ombre à la lumière

Pour se payer ses études à Lille, il enchainera tous les petits boulots : fossoyeurs, maçon, ouvrier, déchargeur de sacs de sable, serveur pion… Ses études ne sont pas spécialement brillantes, en tout cas, pas à la hauteur de ses capacités, il se contente du minimum: bac mention assez bien et il arrivera en fin de classement au barreau de Lille. Ce n’est pas les cours qui le passionnent mais le tribunal: il fréquentera les audiences des heures durant; en les écoutant, il se rêve en tribun et apprend extrêmement vite.
Quand Jean Descamps lui demande ce qu’il veut faire plus tard, sa réponse est sans appel

« Etre un des dix meilleurs pénalistes français »

C’était un an avant qu’il ne passe le barreau

Jeune avocat, il rêve de cabinets d’avocats réputés, mais les débuts furent plus difficiles que prévu. Partout, on l’accueillait, on discutait mais personne ne l’embauche. Il commence ses premières armes aux prud’hommes puis ce sera les commissions d’office avec pour mentors Jean Descamps le Lillois et Alain Furbury le Toulousain.
Sa motivation est sans égale: après trois semaines de barreau, il donne des leçons de droits et, en 1987, il obtient son premier acquittement. Ensuite, les affaires vont s’enchaîner avec des plaidoiries émouvantes dans un français parfait. Bien sûr, ses échecs, nombreux, lui demandent du temps pour s’en remettre. Dans ce cas, il s’en veut, rumine, baisse la tête comme un boxeur sous les coups de son adversaire, mais le quantum de la peine est néanmoins évalué grâce à sa défense!

Son besoin de reconnaissance, cette rage, cette douleur surmontée, il l’affiche. Sur les murs de son bureau à Paris, on peut observer des photos de lui pêle-mèle avec des avocats célèbres, des torero, mais aussi Enrico Macias, Jean-Paul Belmondo ou encore Beatrice Dalle.


Un colosse, écorché vif

Si sa stature est imposante, « l’ogre des prétoires » impose par sa simple présence. A ses débuts, Jean-Louis Pelletier dira de lui :

« Un gabarit qui convenait bien à quelqu’un qui veut défoncer les portes fermées. Mais quand j’ai été dans un même procès avec lui, j’ai vu son talent »

Pour se confronter encore plus à son « moi », il s’est lancé le défi du théâtre, à la Madeleine, sous le titre Eric Dupond-Moretti à la barre, il voulait ressentir ce qu’Isabelle Boulay, sa compagne, peut ressentir avant de monter sur scène. Nous voyons parfaitement le parallèle entre le Tribunal et le théâtre. Avec des codes semblables : décor, costumes, rituels, public, il se joue quelque chose de spectaculaire. Isabelle Boulay le définit comme:

« Drôle de bête, tendre, sensible, « il est très humain et en même temps, il a le feu en lui, c’est un homme en colère »

En colère pour mille et une raison, par exemple, on l’a traité de sale macaroni, et ça, ça le met en colère. Autre exemple, en 1993, il est mit en garde à vue par le juge Thorel dans une affaire de drogue; sa voiture aurait transporté de la cocaïne, un policier attestera : « quelqu’un avait saupoudré de la drogue dans la voiture ». Et puis comment ne pas se souvenir de ce clash d’anthologie face à Eric Zemmour sur l’immigration:

A la maison, il s’apaise avec son épouse Isabelle, avec qui il partage sa vie depuis 2016. Un amour qu’ils souhaitaient garder hors de portée des caméras, comme le confie la chanteuse québécoise en 2019: « Nous aurions aimé que notre relation reste un secret bien gardé, comme ça a été le cas pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’on se fasse voler des photos. Ce qui n’est jamais très confortable. (Gala, 12/2019)

Ils vivent notamment à la ferme où la ils profitent de la terre, la nature, la vie simple, la chasse, et les bons repas. Pour se détendre, outre sa passion pour la musique classique, il dévore ses auteurs préférés que sont Victor Hugo, Albert Camus, Georges Simenon mais aussi des livres politiques comme: « Les Mémoires de Sarkozy »

En conclusion de ce parcours exemplaire, Maître Dupond-Moretti dit avoir réussi sa vie: « Je suis devenu le ténor que je rêvais d’être. » Et cette voix résonne encore, comme une des voix forte de la profession d’avocats, comme encore récemment quand il a pris position contre la mort des cours d’assises décidée par Nicole Belloubet.

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