EHPAD pendant le Covid-19: Est-ce un mouroir qui ne dit pas son nom?

Quelle est la valeur de la vie ? Est-elle la même à 18, 40 ou 90 ans ?

Comme le disait André Malraux, écrivain et ministre de la Culture du Général de Gaulle: 

« Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. » 

Aujourd’hui, la France compte 1,5 million de personnes de 85 ans et plus, 21% d’entre elles vivent en EHPAD – selon les données 2018 du Ministère de la Santé et de la solidarité. On y recense 7 500 Etablissements (50% publics, 28% privés non lucratifs, 22% privés commerciaux) où l’âge moyen d’entrée est de 86 ans. Les personnes âgées sont de plus en plus dépendantes avec un GIR très bas (Le GIR étant l’acronyme inhumain pour classer la dépendance de l’homme). Les maladies neurodégénératives les touchent aussi de plus en plus. Pour des raisons démographiques et d’espérance de vie, 91% des résidents sont des résidentes. Elles vont rester en EHPAD en moyenne deux ans et demi. Quand elles quitteront ce lieu, ce sera à 68% pour cause de décès et en proportion égale soit pour changement d’établissement soit pour retour chez un proche.

Etrangement, notre Société prône la solidarité intergénérationnelle, mais le constat est tout autre : 50% des plus de 75 ans n’ont plus de réseau amical actif. 

Le coronavirus dans les EHPAD n’est qu’un amplificateur d’une situation déjà très problématique. Or, 1 EHPAD sur 2 connait ou a connu au moins 1 cas de coronavirus. Les Etablissements appliquent la décision du ministre de la santé en date du lundi 6 avril 2020 : si on est en présence d’un cas positif, on teste l’ensemble du personnel.


Une crise par-dessus une crise

Il y a quasiment un an, jour pour jour, le personnel des EHPAD réclamaient à corps et à cris de meilleures conditions de travail et davantage de moyens. D’ailleurs, les conclusions de la mission d’information menée par les députées Monique Iborra (LREM) et Caroline Fiat (FI), rejoignaient les revendications de ce personnel : doubler le ratio soignants/résidents pour arriver à 60 soignants pour 100 résidents. Comme on le devine, tout cela a un coût : recruter 210 000 professionnels, c’est dépenser 8 à 10 milliards d’euros. Hélas, cette dépense n’a pas été engagée par le gouvernement d’où une situation qui empire avec une population de plus en plus dépendante.
C’est le constat amer de Romain Gizolme, Directeur de l’AD-PA, l’Association des Directeurs au service des Personnes Agées :

« Le seul secteur en France où le taux d’accidents du travail et d’arrêts maladie avait augmenté était celui de l’aide aux personnes âgées… le personnel est investi mais l’Etat, lui, n’a pas engagé les investissements sociaux nécessaires pour mieux accompagner les personnes âgées… (…) Il faudrait autour de quatre milliards d’euros ce qui semble beaucoup mais qui est une goutte d’eau face au budget de la sécurité sociale qui se monte en milliers de milliards. »

Pour traduire cette situation, on observe un taux d’absentéisme de 30% supérieur à celui de l’ensemble du secteur de la santé pour ce qui est de l’aide et des services à la personne. Depuis le début de la crise du coronavirus, on atteint 50 à 60% d’absentéisme dans les EHPAD.


Une vidéo qui touche le cœur

Lorsque le visage épleuré de Jeanne, bientôt 97 ans, pensionnaire d’un EHPAD de Saint-Gemmes-sur-Loire, dans le Maine-et-Loire, apparait dans le journal télévisé de France 2, personne ne peut rester insensible.

Parce qu’elle est confinée dans sa chambre et qu’elle ne peut même pas discuter quelques instants avec sa voisine, elle nous ramène à cette humanité qui a tant fait défaut dans la crise du coronavirus. Peut-être aussi car nous nous sentons coupable de cet enfermement imposé à nos ainés. De quel droit pouvons-nous laisser cette dame cloîtrée ?

A noter que le président de la République, s’est empressé d’utiliser cette vidéo dans un tweet qui glorifiait la réouverture des EHPAD au membre (au singulier) des familles.

Aussi, pourquoi avoir attendu le 1er avril 2020 pour comptabiliser les décès dans les EHPAD ? Un décès du Covid-19 en EHPAD n’est-il pas égal à un décès à l’hôpital ou en ville ?

De la même manière, pourquoi avoir attendu le 20 avril 2020 pour rendre à nouveau possible les visites en EHPAD soit 35 jours après le début du confinement c’est à dire après 7 650 morts en EHPAD ?

La manière dont on prend soin de nos ainés en dit long sur l’image de notre Société. Ainsi, en Corée du Sud, par exemple, la belle-fille devient souvent l’aidante principale lorsque ses proches âgés ont besoin de soins de longue durée. En France, dans les générations d’antan, les grands parents restaient à demeure chez les enfants mais la vie actuelle valorise l’individualisme comme horizon indépassable.


En guerre ou en vie ?

Le confinement imposé sert à minimiser le nombre de morts chez les personnes âgées, principales victimes du coronavirus. La moitié de la population mondiale est confinée par manque de masques, par manque de tests. 

Combien de personnes sont décédées seules à l’hôpital, en EHPAD, à domicile sans le sourire ou la main d’un de ses proches ? Certes, les autorités sanitaires évaluent à 60 000 le nombre de morts évitées grâce au confinement, mais à quel prix ?  Nous avons peur du virus car nous avons peur de la mort, mais les personnes en EHPAD ne préfèrent-elle pas vivre en prenant le risque de mourir du Covid-19 plutôt que de ressentir le confinement en chambre comme l’équivalent d’une cellule de prison.

Pour reprendre les termes du Président Macron, nous sommes «en guerre» contre le virus. Or, les victimes de guerre, ce sont les jeunes hommes, alors que dans cette guerre du coronavirus, l’âge médian du décès est de 84 ans, et seul point commun avec la guerre, ce sont majoritairement des hommes. Cette guerre est inversée : les plus faibles, les personnes avec des co-morbidités décèdent en priorité. Mais côté soignants, il n’y a pas de différenciation selon l’âge: ainsi, le néphrologue de La Pitié-Salpétrière Gilbert Deray:

« Quand je suis confronté à la maladie, à une vie que je vais perdre, je le sauve. Et l’âge, je m’en moque ».

Ces propos font écho à ceux d’un élu parisien, dans Le Canard Enchaîné, dans un article intitulé « Les vieux ont-ils été privés de réa », qui indiquait le 22 avril 2020 :

« La brutalité du confinement dans ces EHPAD, privés comme publics, a aggravé les choses : « Le personnel, débordé par la situation, ne pouvait plus vérifier si les patients s’alimentaient correctement dans leur chambre, et certains sont morts de déshydratation »


Au nom de quoi enferme-t-on les résidents des EHPAD dans leur chambre ? 

Il aurait fallu dépister l’ensemble du personnel et des résidents des habitants des EHPAD pour limiter les infections, comme le fit le Professeur Juvin dans les deux EHPAD de La Garenne Colombes. Ce sont deux scandales d’état que l’on a sous les yeux: le manque de masques et le manque de tests. Ils sont directement responsables des morts en EHPAD.

La France disposait d’un stock de masques d’un milliard en 2010 (lire aussi notre article: La République sans masques), pourquoi ne les a-t-elle pas renouvelés régulièrement ? Pour des économies de bout de chandelles, on l’imagine.

Les personnes âgées confinées éprouvent ce que les psychiatres appellent le syndrome de glissement : une détérioration physique brutale associée à une perte d’autonomie et l’annihilation du lien social. Le lien, l’interaction sociale, c’est ce qui manque mortellement à nos ainés pendant cette période de confinement. Heureusement, le téléphone, les visioconférences sont essentiels mais tellement minimes au vu de cette épreuve. Peu à peu, les « causoirs » s’installent dans les EHPAD et c’est très bénéfique pour les familles et les résidents.

C’est aussi le sentiment d’Anabelle Vecques – Directrice de la FNADEPA (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées) qui l’affirme ce samedi 25 avril 2020 sur CNEWS : 

« Rien ne remplace une visite avec les yeux et le regard »

Extraits d’une vidéo de l’EHPAD de Saint-Julien-de-Vouvantes

Dans le Tarn, Hedwig, 79 ans, montrait à travers la vitre fermée des messages écrits sur son ardoise à son mari Jean-Jacques, âgé de 93 ans. Elle reçut une amende de 135 euros. Quelques jours plus tard, la préfecture a finalement reconnu auprès de l’Agence France Presse que dans cette affaire, « il y a peut-être eu un peu d’excès » (notez l’emploi de chaque mots), et l’amende fut annulée.

Pour conclure, je reprendrai les paroles de la célèbre chanson d’Alain Souchon : 

« La vie ne vaut rien, rien, rien, la vie ne vaut rien
Mais moi quand je tiens, tiens
Là dans mes mains éblouies
Les deux jolis petits seins de mon amie
Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie
« 

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