Didier Raoult, le gaulois réfractaire, bientôt suspendu par l’Ordre des médecins?

La mise en demeure de l’Ordre des médecins

Le 23 avril 2020, le Conseil de l’Ordre des Médecins menace à mots couverts le Professeur Raoult dans un article intitulé « Protocoles de recherches cliniques illégaux : l’Ordre rappelle avec fermeté les règles en vigueur »
Ajoutant qu’il « serait inadmissible dans ce contexte de susciter de faux espoirs de guérison » il brandit « une suspension d’activité immédiate parce que ses essais cliniques « ne respectent pas les procédures officielles ». La peine prévue par cette autorité sanitaire est d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.
En clair, l’étude du 9 avril du Professeur Raoult n’a pas fait l’objet d’une déclaration conforme à l’institution du médicament. En conséquence de quoi, « Le CNOM a informé l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) de ces protocoles qui s’inscrivent en dehors de la législation en vigueur et tirera le cas échéant les conséquences de l’avis de l’ANSM ».

Retour sur l’histoire incroyable du Professeur de médecine le plus célèbre et le plus charismatique de France.

Entre Afrique et Sud de la France

Né à Dakar en 1952, Didier Raoult a grandi pendant neuf ans au Sénégal entouré d’un père médecin militaire et d’une mère infirmière. Lycéen à Nice, il ne fait pas de merveilles et décide de partir travailler sur des bateaux pendant deux ans. Le jeune baroudeur reprend ses études et passe son BAC en candidat libre en 1972 pour être obstétricien mais devient infectiologue, comme son arrière-grand-père Paul Legendre. Il se marie avec Natacha Cain, psychiatre, qui lui donnera 3 enfants, et avec qui il vit dans un petit appartement. Le médecin décroche le statut de professeur et dirige des thèses sur les maladies infectieuses (domaine qui le passionne déjà) à la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille.

Raoult se fait d’abord connaitre en identifiant des virus tels que « spoutnik », capable d’en infecter un autre pour se développer ou «mimivirus», l’agent de la pneumonie. Il utilise son humour pour dénommer les dizaines de bactéries pathogènes qu’il découvrent avec son équipe et leur donne un « petit nom » en lien avec lui-même ou avec Marseille, comme par exemple le Marseillevirus. Sa renommée mondiale démarre lorsqu’il devient un spécialiste des rickettsie, bactérie intracellulaire à l’origine du thyphus.

Le typhus partage beaucoup de symptômes avec la grippe : frissons, courbatures, mal de tête, fièvre, mais aussi troubles neurologiques et éruption de tâches rouges. La maladie est transmise est transmise par les poux ou les puces.

Suite à l’épidémie de SRAS, il rédige en 2003 un rapport sur le bioterrorisme et les risques épidémiologiques. Puis, entre 2008 et 2017, il dirige l’Urmite (Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes) dans le quartier de la Timone à Marseille et également, à Dakar, les universités de Hann, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de Cheikh-Anta-Diop (UCAD).

Ses travaux sont couronnés le 19 novembre 2010, lorsqu’il reçoit le grand prix Inserm, récompense ô combien prestigieuse pour l’ensemble de sa carrière. Cette distinction va bien au-delà de nos frontières. Raoult peut s’enorgueillir de faire partie en 2015 des chercheurs Français les plus cités dans la communauté scientifique internationale, selon la Highly Cited Researcher list de Clarivate Analytics.

Dernier en classe, il est 1er au monde pour les maladies transmissibles en 2020 pour le référencement de médecins experts du site américain Expertscape. Par ailleurs, il intervient régulièrement dans les médias, au Figaro, de 1998 à 2001, au magazine Le Point de 2011 à 2018 et depuis 2017, environ trimestriellement, aux Echos.

Concernant son nouveau look, et notamment la longueur de ses cheveux, Raoult s’en défend très simplement, c’est ‘pour les faire chier tous’.

Rarement dans le politiquement correct, Didier Raoult s’affiche ouvertement climato-sceptique sur France Inter dans La Tête au Carré :

« Il est vraisemblable qu’une partie de l’activité humaine ait aidé à générer le réchauffement du climat, mais je suis sceptique et le futur est imprévisible ». 

Pour un journaliste qui le connaît bien, ces propos sont « de la provocation. Il pousse un peu le rôle qu’il s’est donné. C’est comme son look improbable. » Dans le portrait du chercheur dressé par l’Inserm, il se réjouit des controverses scientifiques.

« Rien ne m’amuse plus que de détruire des théories si bien établies. »

Covid-19 – la course au traitement

Le 11 mars 2020, l’OMS qualifie le Covid-19 de pandémie, la première pandémie causée par un ‎coronavirus. ‎Pourtant, Raoult manie la dérision le 21 janvier 2020, sur la chaîne YouTube de l’IHU : 

« Il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale »

Début février dans le JDD, il enfonce le clou : « Ce virus n’est pas si méchant »

Ce même jour, Raoult fait partie des 11 experts choisis pour former le conseil scientifique pour le Covid-19, présidé par le professeur Delfraissy, chargé d’éclairer les décisions publiques à prendre pour lutter contre la pandémie mais il n’assiste à aucune des séances et annonce le 24 mars qu’il refuse d’y participer. C’est une nouvelle illustration du caractère volcanique de Didier Raoult. Il démissionne de son poste mais affirme rester en contact avec le Président de la République et le Ministre de la Santé. Il fonde son départ par la divergence d’analyse qu’il a notamment sur le confinement :

« Confiner des gens infectés, qui ne le savent pas, avec d’autres qui ne le sont pas, c’est une curieuse méthode »

Il faut dire que ses relations avec le Ministère de la Santé n’avait pas commencées sous les meilleures auspices. En effet, le mari de l’ex Ministère de la Santé, Yves Levy, lui mène en 2017 une bataille d’égo échevelée sur le statut des IHU pour les transformer en groupement d’intérêt Public donnant alors plus de pouvoir aux INSERM. Cela lui a couté le label Inserm.

Il est ahurissant de constater à quel point ce professeur reconnu peut créer de polémiques, que ce soit auprès des savants établis, voire même de commentateurs zélés, comme le 30 mars 2020, lorsqu’un proche du Président Daniel Cohn Bendit qui lui demande par télévision interposée de « fermer sa gueule » (RMC)


Défense de la chloroquine associée à un antibiotique

Après des résultats spectaculaires de la chloroquine, un antipaludique, dans la lutte contre le coronavirus sur 23 patients, il adopte ensuite une position très tranchée en préconisant un usage immédiat de cette molécule. Son argument principal consiste à dire qu’il s’agit d’un traitement pas cher et qu’il bénéficie d’un grand recul d’utilisation. Certaines personnalités et politiques locales comme Christian Estrosi et son épouse ou encore Valérie Boyer, ont fait la publicité du succès du traitement du professeur Raoult.

Alors que le confinement est en vigueur depuis à peine quelques jours, les caméras de télévision nous montrent une file incessante de français qui attendent quelquefois pendant plusieurs heures avant d’être dépistés et soignés le cas échéant avec son traitement « miracle ». L’épidémie culminant dans certaines régions, Grand-Est et Ile de France où le manque de tests est criant, les tests PCR se multiplient à Marseille, devenue la capitale du test en France.

Le ministre de la Santé Olivier Véran juge les résultats prometteurs et autorise par décret l’utilisation de l’hydroxychloroquine à l’Hôpital et le démarrage de diverses études parmi d’autres avec cette molécule. Il a autorisé le 23 mars par décret que les médecins hospitaliers prescrivent à titre compassionnel (pour des personnes en réanimation) ce traitement  hors AMM et sur décision collégiale des médecins et sous surveillance stricte  alors que le Professeur Raoult le préconise au contraire en tout début de pathologie. 

Plusieurs médecins souhaitent que cette autorisation exceptionnelle soit élargie à la prescription pour la médecine de ville, et ce dès l’apparition des premiers symptômes du coronavirus, dont les plus médiatiques sont par exemple Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, l’ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy (membre du conseil d’administration de l’IHU Méditerranée Infection, ou encore le professeur Christian Perronne, chef du service infectiologie de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches « il est consternant de constater que dans la médecine actuelle la démarche empirique puisse être méprisée, sous prétexte qu’on n’ait pas recouru à des tests en randomisation avec tirage au sort ».

Ces deux derniers ont lancée la pétition « Ne perdons plus de temps » qui comptait au 25 avril plus de 560.000 signataires. Par ailleurs, on ne compte plus les pétitions et groupes facebook qui demandent au gouvernement la prescription de ce médicament pour la médecine de ville.

L’hydroxychloroquine est bientôt incorporée dans de nombreux essais cliniques, y compris l’essai clinique européen Discovery dévoilé par l’INSERM le 22 mars, alors qu’elle en avait été exclue dans un premier temps. Christian Perronne, ardent défenseur du Professeur Raoult, (ancien président de la commission spécialisée maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique) reproche à l’essai Discovery de tester l’hydroxychloroquine seule, sans l’associer à l’Azithromycine, contrairement à une étude faite à Angers et dans 32 autres hôpitaux.


Deuxième étude sur la chloroquine

Son étude : publiée le 20 mars – lien vers l’étude

Le 20 mars 2020, les résultats préliminaires de cette expérimentation sont mis en ligne sous le titre Hydroxychloroquine and Azithromycin as a treatment of COVID-19: preliminary results of an open-label non-randomized clinical trial, sous forme d’une « pré-publication » non validée par les pairs sur le site MedRxiv, et publiés dans le journal International Journal of Antimicrobial Agents.

Didier Raoult publie le 27 mars une étude sur 83 patients sur l’effet de l’association hydroxychloroquine + azithromycine présentant des symptômes légers, étude qui, selon lui, démontre l’efficacité du protocole. Cette étude est encore une fois critiquée car la majorité des patients se remettraient de la maladie avec ou sans traitement et qu’il n’y a pas de groupe contrôle.

Des critiques principalement axées sur la faiblesse méthodologique de l’étude sont émises par la communauté scientifique, le conseil scientifique Covid-19, la société savante (International Society of Antimicrobial Chemotherapy) propriétaire du journal qui a publié l’étude. Bon nombre de ses collègues scientifiques s’insurgent quant à la méthode scientifique utilisée lors de cet essai sur 83 patients (en l’absence de groupe témoin).


Saisonnalité et troisième étude

Le 14 avril 2020, sur la base de la baisse très significative du nombre de cas détectés par l’IHU de Marseille, il évoque la possibilité que l’épidémie disparaisse dans quelques semaines au printemps, ce qui est « assez banal » pour une maladie virale respiratoire. Il renouvelle sa prédiction selon laquelle cette crise sanitaire ne modifierait pas l’espérance de vie des français.

Le 9 avril, Didier Raoult dévoile à Emmanuel Macron les résultats de sa 3ème étude portant sur 1061 patients, encore une fois, sans groupe contrôle sur des patients en début de symptomatologie. Le président avait fait spécialement le voyage pour cette rencontre. A l’instar d’Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy admire le professeur Didier Raoult : C’est un grand monsieur, il a une carrière respectable. Il faut écouter ce qu’il a à dire”, a récemment confié l’ancien président, d’après Le Parisien. Le chiffre a retenir est une efficacité de traitement de 91,7%. Christine Rouzioux, spécialiste en virologie ajoute qu’il y a un pourcentage de guérison quasi identique à ce qui est décrit dans l’histoire naturelle de la maladie.

Didier Raoult et l’IUH Méditerranée présentent l’étude la plus complète à ce jour :

L’abstract et le tableau récapitulatif des données de notre article portant sur le traitement de 1061 patients sont en ligne !
https://t.co/mTWj6aGpTkhttps://t.co/lNXZK91etI pic.twitter.com/PLdygNolxG


Dangerosité cardiaque et commande de l’armée

Le 23 avril, des chercheurs américains remettent en cause l’efficacité de la chloroquine associé à l’azithromycine. Le scientifique français parle d’une étude «plus proche de la fraude scientifique que d’une analyse raisonnable». (Source)
Selon l’agence européenne du médicament (l’EMA) les données issues d’études cliniques de ces traitements sont « encore très limitées et peu concluantes et les effets bénéfiques de ces médicaments sur la maladie covid-19 n’ont pas été démontrés ». (Source)


Reste que la chloroquine a toujours la cote au plus haut sommet de l’Etat. Embarassé par une vidéo virale qui filmait des mystérieux barils chinois étiquetés “phosphate de chloroquine” le ministère des armées a fini par avouer constituer un stock “par précaution” au cas où l’efficacité du traitement se vérifiait. (Source)

Finalement, étant donné les dernières déclarations des autorités de santé françaises que nous évoquions au début de cet article, on est en droit de penser que l’injonction de Daniel Cohn Bendit, du fin fond de l’Allemagne où il est confiné est en passe de se réaliser et que le Professeur Raoult ne soit sommé de « fermer sa gueule », mais il faut se méfier du rebond de Raoult, qui s’est d’ores et déjà exprimé sur Twitter sur les menaces de l’Ordre de médecin qu’il estime ne pas concerner.

Laisser un commentaire